L’irritation en ichor dans ses veines tandis qu’il pousse la porte du département de police ; sacoche en bandoulière et deux cafés en équilibre dans une main. Par tous les saints et ces balivernes répétées pour donner du sens à l’insensé, ce qu’il peut détester être ici. La police n’a jamais rien fait pour lui, pour sa famille, pour rattraper les meurtriers. We'll keep you informed. If there's an improvement, we'll let you know. We're sorry for your loss. Phrases convenues à situation donnée, le manque d’honnêteté à l’irriter comme de l’urticaire. Please tell me the truth, supplication d’une mère désespérée par la perte, ne se rend même pas compte que son fils écoute aux portes, se forge son opinion, déverse une haine intense car il lui faut un coupable, et puisque les véritables se sont évaporés, les représentants de l’autorité feront l’affaire à leur place.

Le ressentiment ne s’est jamais effacé en toutes ces années. Lewis n’oublie pas, pas plus qu’il ne pardonne. Exagère peut-être, rejette son grief sur les épaules d’innocents qui ne sont pas responsable de cette ardente rancœur qu’il se balade depuis bien trop de temps. Garde toujours à l’esprit que d’autres ont été victime de leur incompétence, de leur laxisme ou de leur manque de chance tout simplement. Ne peut décemment pas blâmer toutes les institutions fédérales pour ce qu’il a traversé et pourtant, c’est comme trouver un coupable collectif pour abattre sa rage sur quelqu’un, quelque chose malgré le temps qui passe. Blessure qui jamais ne se referme car constamment alimentée par ce venin acide, frustration fossilisée agissant comme un carburant permanent.

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et pourtant

Politesses échangées en bataille silencieuse sous-jacente, on mène Lewis jusqu’à son objectif, à savoir le bureau du boss. Avalon Raine, une source précieuse d’informations qu’il souhaite se garder sous le coude. Fait courir des rumeurs plus farfelues les unes que les autres uniquement pour le bon plaisir de troubler les troupes, se fait langue vipérine en secret susurré, comptant sur le sacro-saint pouvoir de la commère pour que la poudre soit répandue le plus vite possible. Levant sa main libre pour saluer la cheffe avec un signe v de l’index et du majeur, un large sourire semble éclairer son visage. C’est là toute la complexité de cette situation, il n’arrive pas à la détester comme il le devrait et ça compromet son apriori. Cette femme inspire le respect ; son côté trop sérieux inspire ces fameuses rumeurs qui ont sans doute le don de l’exaspérer, mais il n’y a aucune malveillance ni animosité dans le cœur de Lewis. La raison pour laquelle il lui apporte systématiquement un bon café à plus ou moins la bonne température (you understand, if your minions would leave me alone faster, the coffee would be hot) ; aussi car il est important de ne jamais arriver les mains vides. — Hello boss, salue-t-il avec le sourire.

Sempiternel conflit interne entre rancune et une certaine appréciation, lance regard oblique vers l’agent qui le fixe depuis la porte comme s’il était un poseur de bombe, paupières closes un court instant pour éviter de lever les yeux au ciel, pose le café sur le bureau de la cheffe. — Will he bite me ? glisse Lewis vers Avalon avant de s’assoir face au bureau et croiser une jambe sur l’autre. Le paraître est particulièrement important, essentiel ; indispensable. Nervosité gravée dans le cœur, la conscience tendue comme la corde d’un arc, l’esprit à l’affût et l’air décontracté. Une habitude prise, à jongler avec tous ces masques. Sherwood, l’informatique en profondeur, l’éthique d’avocat pas toujours glorieuse. Il pourrait largement finir derrière les barreaux ; il est toujours là, régulièrement face à Avalon. Se doute-t-elle de quelque chose derrière ce petit jeu à jongler avec des couteaux aiguisés ? Toujours sujet à l’œillade inquisitrice de l’agent qui attend certainement un ordre de sa supérieure, Lewis tourne la tête vers lui en levant légèrement les mains, signant ainsi son innocence du moment.

Bip. La sonnerie de son téléphone résonna dans le bureau silencieux, celui qu'elle occupait tout en haut de la tour du newport police department, et l'extirpa de ses pensées. Décrochant sans hâte, la voix de sa secrétaire personnelle sans qu'elle ait besoin de demander, une nouvelle étonnante. your lawyer's there, Ms. Raine. Jetant un oeil au dossier qui était justement ouvert sur son écran d'ordinateur, elle soupira et répondit send him in please, rebecca. Le léger rire qu'elle entendit à l'autre bout du fil lui fit hausser un sourcil. already in the elevator. Le déclic caractéristique d'un combiné qu'on raccroche et Avalon sourit, un instant. L'efficacité de celle qu'elle avait personnellement recrutée l'avait toujours ravie, elle qui ne passait pas par quatre chemins pour lui dire ce que les autres lui cachaient par crainte alors qu'elle n'avait jamais souhaité être une cheffe effrayante. Elle lui avait même un jour avoué qu'elle trouvait qu'Avalon était allée trop loin avec un chef d'unité et au lieu de s'en émouvoir, Avalon avait pris son commentaire avec toute l'importance qu'il méritait. Les deux femmes s'étaient liées d'une loyauté sans faille et Rebecca était celle qui lui avait parlé des rumeurs secouant le bâtiment à propos de son avocat, justement.

Rumeur navrante face à la quasi dizaine d'années qui les séparait et le simple fait qu'elle n'avait certainement pas de temps dans ses quelques heures de repos pour élever un enfant; alors prendre un si jeune homme dans ses filets n'était pas au programme. En revanche, il était intriguant, et si elle l'étudiait depuis quelques années, elle n'était pas sûre d'être arrivée à résoudre totalement le mystère qu'il représentait. Ceci dit, si elle déplorait l'idée que ses agents perdent leur temps en vains supputations sur son compte, elle parvenait à s'enorgueillir du fait qu'ils l'imaginent avec un si bel homme. Elle n'était finalement pas si périmée que cela. Avisant du coin de l'œil sa démarche assurée dans le couloir vitré, elle l'accueillit comme à son habitude - s'efforçant de ne pas lever les yeux au ciel devant l'arrogance de ce mot dont il n'arrêtait pas de l'affubler, et devant témoins. Boss. Comme si elle pouvait se targuer de diriger un quelconque avocat de cette ville. Déposant un café devant elle, schéma classique de la danse qu'ils exécutaient ensemble depuis des mois, elle jeta un regard à l'homme qui l'avait escorté jusqu'à elle. it's ok Oscar, thank you..

Reculant son fauteuil sur lequel elle s'adossa totalement, elle saisit le café qu'il avait eu la gentillesse de lui ramener et, ne croyant pas du tout à ce trait de caractère chez lui, elle en sirota une gorgée. usually, i like my coffee warm, you know? Croisant à son tour les jambes, elle l'étudia du regard, percevant les mêmes choses qu'à l'habitude; un sourire de façade qui cache le requin qu'il est, cette crispation de la main sur la jambe, l'envie d'être ailleurs, le besoin de demeurer dans ce fauteuil, quitte à en avoir la nausée. Elle avait été étonnée au départ, leur partenariat inédit ayant prouvé son potentiel mais toujours cette impression de l'incommoder qui demeurait. so...to what do I owe the pleasure of your visit, Allingham? Parce qu'il ne venait jamais pour rien et qu'il n'y avait rien de gratuit entre eux ; une information contre un service, et les comptes restaient en ordre.

Mais la donne avait changé, et quoi qu'il lui demande aujourd'hui, elle avait une bien plus grande chose à lui offrir. Brûlant de lui avouer ce qu'elle avait appris, elle mit de l'ordre dans ses idées; ne pas dévoiler sa main trop vite, où il lui en coûterait. L'écran de son ordinateur toujours allumé sur une déclaration qu'il avait faite sous serment en 2o12, compte rendu d'un procès vite expédié, une affaire rondement menée ; mais pas achevée, pas totalement. Le fait de savoir que quelque chose approchait pour lui et qu'elle avait le pouvoir de l'en absoudre lui offrait un pouvoir dont elle se serait bien passée. Libre à lui de s'en saisir.

Les rumeurs ont commencé il y a quelques mois. Années ? Aucune idée. Stupidité absurde d’un gamin dans le corps d’un quarantenaire se satisfait des regards outrés-étonnés, se garde bien de dire que tout est faux. Spéculer est plus amusant. Se fiche d’être puéril à ce point, le sourire carnassier répond aux interrogations silencieuses, persuadé que l’enfer n’est rien à côté d’une putain de station de police. On se demande seulement pourquoi un avocat est souvent là, pourquoi il ne semble accepter de ne voir que la cheffe de préférence, qui s’arrange toujours pour le recevoir. La situation est à l’origine de ces racontars idiots, lui ne fait qu’innocemment les alimenter. Trouver un quelconque amusement dans cet endroit dénué de convictions réelles, juge trop sévèrement ces hommes et ces femmes qu’il ne connaît pas. Le tribunal est comme une arène. Au centre, les gladiateurs et autour, les spectateurs qui ont le pouvoir de jugement. Sans se battre à mort, c’est une joute verbale qui se lance et tous les coups sont permis au point de devenir odieux mais le pire reste d’être sans défense, à court de mots ou bridé par l’accusation. La rage survient, l’injustice se renforce en rafales violentes et le typhon menace d’éclater. Puis il y a la station de police. Inutile de préciser ce que Lewis en pense.

Il y a eu trop de reproches mutuels, à se renvoyer la balle le plus fort possible en accusant l’autre d’incompétence chronique. Voilà pourquoi l’avocat s’est rapidement tourné vers la hiérarchie, s’est intéressé aux personnes susceptibles de pouvoir réellement l’aider à rétablir une véritable justice, pas seulement lui bloquer la route car il souhaite faire sortir, selon eux, la mauvaise personne. Le ton monte toujours bien trop rapidement, c’est aussi pour ça qu’il participe au cancan à chaque fois qu’il passe en rappel sournois. — Oh, I would love to bring it to you hot, really, but it's an obstacle course getting here. Entendre ce fameux Oscar marmonner en partant lui arrache un petit sourire coupable ; le sérieux revenant se ficher sur son visage. — You arrested someone a few days ago. A drug dealer. My client saw her son shoot himself in the head in a fit of madness, and she knows that the dealer you arrested was her son's dealer. I need to know everything. La drogue ne permet malheureusement pas d’oublier les vicissitudes de la vie, seulement une poignée d’heures tout au plus avant de faire basculer la raison jusqu’au point de non-retour. Jusqu’à ce qu’une chape de plomb recouvre l’existence tout entière.

Une situation tragique qui n’aurait sans doute pas pu être évitée à cause du mode de vie de ce garçon, turbulence incarnée défiant l’autorité, connu des services de police et ayant déjà été incarcéré. Ce gosse avait surtout besoin d’aide, personne n’a su lui tendre la main au bon moment et explose brutalement la réalité d’une mère certainement dans le déni, bouleversée par la perte et le deuil. Bien sûr, il s’agit ici de la parole d’une mère rendue folle de chagrin par un événement tragique, Lewis se fait messager en attendant de trouver toutes les preuves pour assurer une défense solide à sa cliente qui exige que justice soit rendue. Elle ne veut même pas de compensation. Elle veut que le coupable soit jugé. — Drug cases are always tricky, because dealers don't usually act alone. If possible, let me talk to this man. He won't talk to me any more than he will to you, but I need to see who I'm up against. Nom, prénom, tout ce qu’il peut apprendre sur ce type pour creuser en profondeur par la suite. Le fil d’Ariane qu’il pourra suivre pour aller au centre de ce nouveau labyrinthe juridique, Thésée face aux Minotaures de la cour.

— Is there something wrong, Raine ? Lewis s’est redressé sans lâcher son interlocutrice du regard, méfiance au creux de l’estomac car confiance pas suffisamment accordée malgré le respect évident qu’il lui témoigne en dépit des petites blagues sans conséquence, clébard renifle le piège, femme trop silencieuse ou prise d’une légère impatience dans sa posture, un coup d’œil discret à l’écran. Il a beau avoir son attention, quelque chose cloche. Ou peut-être sont-ce ses aprioris vis-à-vis de l’endroit qui lui font croire à un paquet prêt à exploser à tout moment, comme un tic-tac régulier que l’on entendrait à peine. Un métronome guidant sur la bonne voie.

Elle ignorait tout de la réserve qu'il gardait, même lorsqu'il pénétrait dans l'antre des loups, qu'il montait jusqu'à son bureau; elle la sentait mais elle n'avait jamais mis de nom dessus, d'explication derrière. C'était peut-être simplement elle qui le mettait mal à l'aise, après tout ? Mais elle n'avait pas cherché plus loin au départ, elle lui avait accordé le bénéfice du doute, et ce n'était pas simplement pour ses beaux yeux sombres. Ils se rendaient service, l'un comme l'autre, et quand elle voyait un procès aller dans une mauvaise direction, elle plaidait auprès de lui. Qui devait être condamné. Qui devait être libéré. Balance en main, elle ignorait que son rapport à la justice était anormal, elle le faisait pour être juste. for the greater good, en mantra scandé sous son crâne lorsqu'elle parvenait à s'endormir, justifiant tout, actes et paroles.

Soupir en entendant parler de sa cliente, la drogue qui parsemait les rues étant pour elle le plus grand mal de cette société. Elle agrippait les plus jeunes, ceux dont l'esprit était encore trop malléable et elle s'y insinuait, ravageant tout; méninges, santé mentale et avenir. A ceux disant qu'elle n'était pour rien dans les cris entendus entre les murs de l'hôpital psychiatrique de la ville, elle ne répondait pas mais son regard parlait pour elle. Autant aligner leur jeunesse contre un mur et la fusiller, si c'était pour en prendre soin de la sorte. name? elle gagnait du temps, elle savait exactement de quoi il parlait; un soir, alors qu'elle allait partir, elle avait croisé cette femme dans l'entrée du commissariat, esclandre lancée sur ses collègues entre deux larmes. Hystérique, ils avaient dit, mais elle avait vu la douleur et la colère. Elle avait vu et elle ne sortait plus son visage de sa tête. i'll check and i'll tell you what I can ok ? Et elle le ferait, comme d'habitude, parce qu'il ne se déplaçait pas pour rien et qu'il avait besoin d'elle pour défendre. Cette collaboration ne semblait pas pouvoir s'arrêter maintenant qu'elle avait commencé, comme une addiction qui se développe en secret ; il était le bras qui s'évertuait à rendre la justice qu'elle promettait. Et c'était beau.

La question la cloua à sa chaise, uppercut balancé dans l'estomac. Il ne lui laissait donc rien passer, alors même qu'elle n'avait pas décidé encore de sa façon d'aborder le sujet. Mais il était temps de le faire, le temps pressait. you'll tell me. Elle se redressa et tourna l'écran vers lui. Une photo de la police, un homme, mort des années plus tôt. Observant le visage de Lewis, elle demanda d'you know him? Elle réfléchissait à ses mots, les choisissant soigneusement et elle demanda i bet you know him, it's written on your face. Elle se leva pour fermer la porte de son bureau et en descendre les stores; il y avait des éléments de dossier à partager avec lui, et aucune envie qu'on les voit parler de ça.

Police rime avec justice et pourtant, dure peut s’avérer la cohabitation de deux individus se battant pour deux choses pas si différentes. Grognement et regard mauvais face à l’être qui fera libérer ce pourquoi ils ont peut-être perdu quelqu’un. Lewis en est bien conscient mais ce n’est pas son problème. Disputes régulières, arguments brisés, la meilleure défense est l’attaque. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il ne se soucie guère de ses manières parfois trop familières dans un lieu où l’atmosphère lourde règne à cause d’une divergence. Mais elle, elle n’est pas pareil. Avalon se démarque du lot. Statut de chef l’intéresse mais la personne encore plus car il y a quelque chose qui résonne en raisons discutées. Débats enflammés, paroles dures et refus de libérer ce qui semble être la bonne personne pour l’une mais pas pour l’autre. Parfois tombent d’accord et font front commun. L’écoute est devenue naturelle dans les deux partis. — The dealer's name is Erik Byrd. My client is Rebecca Porter. Silence. — So, could I speak to the dealer ?

Pas de réponse précédente, donc avocat insiste, parfois lourdement. La question plane, presque innocente pourtant. Quelque chose d’autre traîne dans le bureau de la cheffe. Quelque chose de déplaisant, d’inexplicable. Mélasse invisible ou miasme grignotant le calme apparent. Quelque chose hors du contrôle de Lewis et ça ne lui plaît pas. Paupières plissées, lippes serrées à n’en former qu’une ligne, il tapote son index sur le bureau en bois à un rythme régulier. Soixante tac-tac par minutes, au rythme classique d’un métronome. On ne pianote pas de la même façon sur ces deux types de claviers différents. Une gymnastique permanente de mains habiles et dextres qui ne tiendraient pourtant pas un flingue ni un couteau autrement que pour faire la bouffe. Souffle manque, battement raté, soupir au fin fond de son être, mâchoire qui se crispe, autant de signes perceptibles qui lui changent son expression détendue en corde d’un arc tendue. — What's this all about ? Première question qui lui vient, à deux doigts d’ordonner – ordonner, pas même demander – de lui dire tout ce qu’elle sait.

Il ignore ce qui le ronge le plus à cet instant. La colère ou la crainte, bien plus raisonnable dans sa situation. Son casier n’est plus vierge depuis des années malgré aucun manquement visible à la loi. S’est tenu à carreaux depuis cette accusation classée sans suite, car innocent. Alors pourquoi ? Le regard d’encre suit l’aînée du regard, se redressant sur sa chaise en gardant un instant le silence. — Are you investigating me ? Ce ne serait pas étonnant, comme lui se permet de fouiner également dans la vie des autres à leur insu. Face à la légalité et l’illégalité, mais désireux de connaître la réponse. À quoi ça rime, cette mascarade ? Pire que ça, il sait à quel point c’est jubilatoire de savoir quelque chose que l’autre ignore. Le pouvoir, c’est le savoir. Et finalement, le soupir qu’il retenait fini par lui échapper. — Anthony Adkins. Why ?