C’est comme un écho répercute en danse sinistre, ne sait plus exactement ce qu’il a pu dire et cette absence de contrôle est problématique. Angoisse. Déstabilise. Trop bavard bourré, l’alcool joyeux, ne gère plus ses émotions négatives et se sent plus fort que le monde. Lewis file d’un pas vif jusqu’au Lighthouse. L’ire de l’ivresse pulse dans ses veines alors que la sobriété brille au fin fond de ses prunelles. Ses pas le mènent toujours au même endroit, un soir toujours pris au hasard d’une semaine à l’autre, l’envie de changer ces mots chantonnés d’une voix légère rendue insouciante par un whisky savoureux roulant sur sa langue, se colle au palais, rewind, i don't remember that night ; l’ironique injustice d’être pris au piège par sa propre bêtise menace les fondations même. Exagération au cœur de ses pensées mais conscient que la rumeur se tisse dans l’absence de bruit quand tout le monde dort.

Lighthouse en plein-phare percute et laisse s’échapper un soupir sans savoir si c’est de l’admiration, dépit, dédain, envie, soulagement ; multitude se perd et s’efface pour ne laisser qu’une résolution certaine. Le corps est un temple qu’il faut respecter quoiqu’il arrive, violence se fait son esprit mais jamais ses gestes, tout n’est qu’un jeu sans je car c’est un nous évident qui s’organise derrière ces murs où le luxe rime avec luxure, où le champ’ vulgaire hors de prix rime avec chant de ces fleurs agencées à la perfection dans ce bouquet composite. Peut-être que c’est de l’admiration qu’il éprouve finalement, quand il redevient témoin de cette folie au pluriel. Lieu dangereux, antre des lionnes, gang de requins sournois où la confiance est une partition oubliée. Lui-même vient pour quoi ? Oublier hier, oublier aujourd’hui, oublier demain et se vautre dans un déni délectable aux mille couleurs explosant devant rétines rendues sensibles par toute cette saturation. C’est trop, toujours trop et en même temps pas assez. Un temple de la démesure où se mesurent les brebis face aux prédateurs rôdés à l’exercice.

Et pourtant, il revient, encore et encore, semaine après semaine, pour s’assurer que son trop plein de confiance ne soit jamais sorti de cette chambre. C’est elle qui l’a nargué d’avoir cédé à cette bavarderie inconsciente, innocente ; lui ne se souvient qu’à moitié ce qui s’est passé. Fuck. Glisser n’est pas si grave, c’est le dérapage incontrôlé à l’arrivée qu’il craint le plus. What exactly did I say to her ? Les zones d’ombre sont légion dans sa mémoire, victime consentante de soirées trop arrosées où l’avocat quitte ce rôle pour revêtir ce qu’il n’a jamais réellement pu se permettre d’être. Son refus permanent à l’époque, lointaines études maintenant ; ces fêtards pénibles qui tentaient par tous les moyens de faire sortir l’ours de sa grotte sans grande réussite ; à cette époque bien trop obsédé par sa vengeance personnelle et retrouver les meurtriers de son père, obtenir justice, that fucking justice that made him what he hates. Cette fascination malsaine pour le détail qui fera pencher cette putain de balance en sa faveur en omettant son sens moral, son code d’honneur ; car l’honneur a foutu le camp depuis longtemps dans cette croisade qui est la sienne. La laideur de cette fixation pour la victoire systématique, retourne sa veste pour envoyer son client derrière les barreaux ; t’es qui putain pour décider ? who the fuck do you think you are ?, reflet dégueule souvent, affronte le regard, comme ce soir, fait taire tout ce qui est inutile.

Tout ça menace de lui péter à la gueule en permanence, doit faire attention à ce qu’il dit, à qui il le dit, sa cause est juste mais la manière dont il y parvient ne l’est pas ; tricheur et menteur prônant l’honnêteté et la vérité, il est une fraude hypocrite qui se complait dans les affaires pro-bono qui ne rapportent quasiment rien, fervent défenseur de ceux qui ne peuvent pas avoir un bon avocat face aux hyènes d’en face. Ce monde n’est pas fait pour quelqu’un de sensible, sa sensibilité il l’a foutue à la porte à l’enterrement de son père. Seule la sentence compte, qu’elle soit bonne ou mauvaise tandis que son regard se pose sur cette violette. Plutôt une rose de son point de vue, les épines ne se voient pas toujours. Tout est trop, ici. Le Palais sans mesure. Un petit sourire se fige sur les lèvres de Lewis en s’avançant vers l’épine plantée dans sa conscience depuis trop de temps. Ici, tout est possible. Le masque est levé, la vérité se fait petite souris dans un trou, et le jeu des mascarades commence. — I'm beginning to think you were expecting me, love, but I guess that would be really presumptuous of me.

Le sourire d’Halina éclot doucement, écho aux néons du Lighthouse qui colorent la salle de reflets ensorcelés. Dans le léger recul de son corps, elle laisse traîner une expression qui danse entre le charme et la méfiance, comme une flamme vive mais gardée sous contrôle. Lewis, tout avocat charmeur qu’il est, tout empoisonneur de vérités, vient de franchir un seuil qu’il semble ne plus tout à fait comprendre. Ses prunelles accrochent les siennes, troublées, un peu trop vives, et elle sent la tension s'enrouler comme une corde invisible autour de leurs épaules. Il se tient là, au milieu de ce temple de démesure, cherchant quelque chose d’indicible.

Elle penche la tête, une mèche de cheveux venant effleurer son cou, mais son regard ne le quitte pas, comme si elle sondait chaque recoin de son être, cherchant à percer l’armure de Lewis. “Expecting you, love?”, répète-t-elle d’une voix douce, un murmure qui laisse entrevoir l’ironie acérée dissimulée sous des strates de velours. Elle feint une insouciance tranquille, mais elle sait très bien ce qu’il est venu chercher ce soir, et que ce n’est pas la distraction habituelle.

Les mots s’enchaînent, glissant sur le fil de ses lèvres comme une mélodie calculée, captivante et mesurée : “You know that my job is to wait for you to come to me? At me? So yes… always.” Sa voix s’enroule encore, velours doux qui étreint les gorges, et elle se penche vers lui, prenant le temps de détacher chaque syllabe, plongeant son regard dans le sien. “You know that my job is to wait for you to come to me, so yes… always. After all, my specialty is to listen to you and comfort you.” Elle laisse planer un silence, juste assez pour percevoir la crispation qui semble passer dans son regard, l’ombre d’un malaise qu’il essaie de dissimuler sous une façade impeccable. Les filles du Lighthouse, et surtout les escorts, ont cet attrait pour la lecture des âmes, le décryptage des êtres, capables d’effeuiller les psychés en un regard percé de sourires racoleurs.

Et Halina se souvient encore des mots hachés, des rires incongrus entre deux révélations dissimulées sous un voile d’ivresse. Mémoire des faits, réminescences cachées, pourtant elle fait divinement mine de rien, laissant glisser un doigt mouillé sur le cristal de son cocktail. Mais là, ce soir, il se tient devant elle, comme animé par une nouvelle envie.

“Were you pleased by our last evening together?” Les mots se suspendent, glacials sous l’apparence de son sourire, offrant une scène où, pour une fois, le marionnettiste se retrouve piégé dans ses propres fils, incapable de déterminer où se trouve la prochaine percée de l’aiguille. “I must confess: I loved listening to you. Especially, now that I know you’re quite the defender.” Et peut-être même que dans une autre vie, elle aurait aimé l’avoir à ses côtés pour la protéger. Mais ça, c’est une histoire qu’elle n’est pas prête de confier…

“It's fascinating, this talent you have for finding yourself on the winning side, no matter what the price.” Sinueuse pique qu’elle loge, elle se souvient de la confession arrachée, impromptue d’un avocat au talent vicié, trop confiant dans les heures où l’alcool dilue les défenses. “I’d like to hear you more. Have a seat.”

Jeu de faux-semblant semble faux faute de mieux, veuve noire vénéneuse capture proie dans sa toile d’asphalte sans se draper d’insouciance. Au sein de ce sanctuaire de chairs, de crocs, de miasmes collants au son d’une rengaine tenace, à la recherche constante de quelque chose mais où rien ne vient. L’araignée s’approche, se fait murmure indécent ne cédant aucune parcelle de ce champ de bataille invisible levé entre eux. Halina en trois syllabes empoisonnées infeste son esprit où règne chaos organisé. — If only you didn't say that to every person who comes to you for a good night out. La tête penchée, tâche de se détendre dans cette sobriété où l’ébriété hurle par son absence. Le courage se drape d’un verre ou deux, la vérité aussi. Cette honnêteté qu’il semble chérir chez les autres mais jalousement gardée pour lui-même transparaît un peu trop lorsque l’alcool lui embrouille l’esprit pour laisser le cœur parler. Reflet désespéré d’un homme qui aimerait être honnête mais mène trop de combats dans un monde où les rapaces sont rois.

— I find it impressive to know how to charm weak minds in search of comfort and reassurance. You're exactly what I want and at the same time, you could be the one to cause me the most trouble. Une réflexion faite à voix basse dans une intimité relative, il n’y a qu’à Halina qu’il destine ces mots, la main tendue vers elle, effleurant à peine sa joue du bout des doigts. Cette incroyable capacité à être un véritable caméléon, revêtir n’importe quel masque pour plaire quitte à déplaire par la suite et on y revient pour une bonne raison : se sentir à la hauteur auprès de quelqu’un mais la majorité du temps, ils ne sont que du vent. Une bourrasque, tout au plus, dans leur existence.

— There's always better than me. Vérité douce, modestie à peine voilée qu’il assène en allant se chercher un cocktail ; mistakes are made to be made again huh ?, entraînant sa compagne d’un soir jusqu’à une table miraculeusement vide près de la fenêtre ; tiquant à la réflexion de l’escort sans relever tout de suite. À vrai dire, il prend son temps pour détailler le visage d’Halina. Pupilles acérées ne laissant aucune chance au hasard, elle est là pour lire autrui afin de se conformer aux attentes. Lewis n’aime ni les copies conformes, ni les copies qu’on forme. Il aime voir cette vérité sous les couches de mensonges ; c’est ce qu’il déterre quand il s’infiltre dans la vie privée de ses adversaires pour dénicher le détail qu’il lui faut. Sa propre vérité est laide à voir, se sert du malheur de certains, appuie là où ça fait mal, remue la plaie but you know what ? kindness will eat you up, if you're not sneaky, if you don't have that winning streak, don't do it.

La soirée fut bonne à ce moment-là, doux rappel d’un laisser-aller délectable ; ne la regrette qu’à moitié en réalité. Précisément là pour penser à autre chose, faire fi des problèmes et songer combien la vie peut s’avérer magnifique avec une présence délicieuse à ses côtés et l’esprit englué par l’alcool ingurgité. — You can't get justice by not getting your hands dirty. Murmure pensif, tête penchée et fini par lui tirer la chaise pour qu’elle s’installe en première et s’assoir ensuite face à elle. Par les saints, elle reste diablement envoûtante. Refuse de se faire avoir par sa propre faiblesse une deuxième fois, car ces soirées ne sont finalement que de la poudre aux yeux. Le contrôle n’est qu’une illusion, ce sont les employés qui mènent la danse et il serait stupide de croire le contraire. — You know why I came back. What did I tell you last time ?

“I couldn’t agree more… Justice can be… messy.” Elle en sait quelque chose, surtout quand c’est pour soi, une réclamation exigeante, tranchante et sanglante. Mais cette vérité ne traverse pas son visage. Tout est soigneusement enfoui, caché, refoulé au fond de sa cage d’os.

Halina laisse planer un léger sourire en coin, sa réponse calculée entre mystère et amusement. Lewis est là, face à elle, et elle sait qu’il cherche à la faire flancher, à l’inviter à revisiter leur dernière conversation. Mais elle n’est pas dupe ; il veut la faire glisser là où les vérités glanées dans l’ivresse se transforment en armes. Ce n’est pas son jeu. Alors elle choisit de réagir différemment, de se jouer de lui avec la même finesse qu’elle utilise pour garder ses secrets bien enfouis. “What you told me last time?” Elle fait mine de réfléchir, le regard fixé sur lui avec une intensité feinte, ses lèvres dessinant un sourire indéchiffrable, parfait pour le sonder. “The secrets whispered in the dark here are made to stay hidden. It is our promesse.” Les filles voient, entendent et comprennent beaucoup, mais elles se font coffre-fort, ouvert uniquement quand l’information vaut l’intérêt des patronnes du Lighthouse.

Elle laisse une pause s’étirer, son regard ne le quittant pas, savourant la tension subtile entre eux, cette danse silencieuse où chaque mot devient un piège potentiel. Elle effleure le bord de son verre du bout des doigts, un geste lent, presque envoûtant. Elle se penche vers lui, sa voix se faisant plus basse, presque complice. “I assure you. Whatever you may have said or done to me, it's just between us.”

Elle lui lance un regard taquin, comme pour lui rappeler qu’elle a sa propre manière de détourner les questions, de glisser hors des mailles du filet avec une habileté qu’il ne pourrait jamais atteindre, même devant les plus grands jurés. Elle lève son verre en un geste délicat, un toast silencieux à leur duel inachevé. “I'm just glad you're back, and that you still want my company.”
Halina soutient son regard, ses yeux ancrés dans les siens, et laisse glisser un sourire aussi tranchant que mystérieux. Elle sait exactement ce qu’il cherche – et ce qu’il redoute de trouver. Elle se délecte de cette ambiguïté, de cette tension qui frémit entre eux, comme une corde tendue prête à rompre. Elle se penche légèrement en avant, réduisant l’espace qui les sépare, et lui adresse un sourire, presque tendre dans sa provocation.

Elle finit par redresser légèrement le menton, comme si elle décidait de reprendre le contrôle de leur échange, d’un simple coup de sourire. Alors que tout le linge sale que certains s’évertuent à dissimuler, elle, elle le connaît, c’est bien enregistré. “If you've come for the real thing, then maybe you're willing to pay the price, right? After all, a lawyer knows that every truth has to be negotiated.”, reprend-elle en détachant chaque mot avec soin, sa voix caressante, enroulée de velours. Elle laisse la question flotter dans l’air, sans vraiment attendre de réponse, savourant l’incertitude qu’elle peut lire sur son visage.

Valse macabre de palabres toutes plus sournoises les unes que les autres mais aucun ne cède la moindre parcelle de terrain à l’autre. Vipère siffle, lionne prête à jouer avec sa proie, des pas rythmés par Halina qui mène la danse d’une main de maître. Visage assuré, regard de braise où l’hésitation n’a pas sa place, elle est la reine et lui le fou tout au plus, s’étant juré pourtant qu’on ne l’y prendrait plus. — A promise is nothing but disappointing words, sweetheart. Il veut la croire pour ce qu’elle dit, aimerait la prendre aux mots mais ceux-ci ne sont que vent dans une tempête à venir. Voix sensuelle et moqueuse lui confirme précédente information, celle que leur discussion restera entre eux mais habitué à ne croire que ce qu’il voit, agnostique convaincu dans la vie de tous les jours ou Saint Thomas pénible qu’il faut parvenir à convaincre en étant plus têtu que lui.

Mais n’est-ce pas ça qu’il recherche ? L’adrénaline du combat des mots ? À jongler avec les émotions des autres sans leur faire le moindre mal physiquement ? Les blessures guérissent quand celles dans la tête et dans le cœur mettent parfois une éternité à cicatriser. Et là, dans l’atmosphère moite et lourde du Lighthouse, il fini par lui rendre son sourire, levant son verre à cette belle féline que personne ne peut avoir dans ses filets car c’est elle qui joue quand les autres pensent avoir la main. — I've always enjoyed your company, but I'd like to know who the real Halina is. Il lui fait un clin d’œil, n’a jamais été dupe. Ou peut-être qu’il n’a jamais laissé la place pour l’honnêteté dans ce bas monde et se méfie systématiquement de tout le monde, n’éprouve plus la moindre compassion quant à utiliser autrui pour ensuite s’en détourner comme un objet qu’on prend, qu’on ouvre, qu’on jette. Attitude cruelle ou blessure jamais refermée car s’expose tellement qu’il se doit d’être sans cœur ? Cette fois, c'est sa propre voix qui se fait murmure. — Who are you ?

Penche la tête dans un sourire, s’accoude à la table en s’approchant à son tour de la jeune femme. Il apprécie sa voix, mais c’est traître, trompeur. Il apprécie ce qu’elle représente, mais où est la vérité là-dedans ? Quelque part, dissimulée, comme absolument tout le reste. Elle se pense maligne et elle a raison d’y croire. Lewis commence à se faire à l’idée qu’il ne reverra jamais la couleur de ce qu’il a bien pu lui confier. — It all depends on which side you're on, because the truth is never the same for everyone. Il lui fait un clin d’œil. Il comprend où elle veut en venir, à quoi elle joue et il jouera lui aussi s’il le faut.  — Which side would you be on ? The plaintiff's or the defendant's ? Il ne doute pas une seule seconde qu’elle comprenne où il veut en venir ; elle en sait trop et lui ne sait rien du tout, alors il tente de rétablir l’équilibre même s’il est bien conscient qu’il ne joue pas tant la subtilité. Halina est fascinante, et il a envie de savoir comment elle fonctionne vraiment.